Les forêts primaires sont au coeur de notre survie

En l’an 2000, les Nations-Unies ont déclaré le 22 mai la Journée internationale de la diversité biologique. En décembre 2022, comme membre du Collectif COP15, la Fondation du Mont-Saint-Bruno a participé à la mobilisation des acteurs de la société civile pour encourager les parties à négocier le nouveau cadre mondial de Kunming-Montréal pour la biodiversité.

C’est pourquoi la Fondation a, entre autres, signé la demande de l’association Primary Forest Alliance pour un moratoire sur l’activité industrielle dans les forêts primaires du monde entier.  Sans les forêts primaires, la lutte aux changements climatiques et la sauvegarde de la biodiversité planétaire sont impossibles.

(Photo d’entête : La forêt boréale vue des montagnes de Charlevoix)

Tout est connecté

Les forêts primaires forment plus du tier des forêts de la planète et donnent vie aux deux tiers des espèces terrestres.  On y trouve l’eau douce la plus pure.

Non perturbées par une industrie depuis leur naissance, les forêts primaires sont des écosystèmes complexes. Uniques et irremplaçables, elles offrent une symbiose parfaite entre le vivant et le non-vivant.

Essentielles à la régulation du climat et du cycle hydrologique de la planète, ces forêts constituent les plus grandes réserves de carbone terrestre.

En fait, elles emmagasinent plusieurs siècles de carbone, soit 30 % à 50 % de plus par hectare que les forêts qui ont déjà été coupées.

Du jamais vu dans l’évolution de la planète

L’humain détruit depuis 200 ans ce que la Nature a pris des milliards d’années d’évolution à créer.

Au Québec, les forêts vierges datant de 450 ans et plus se font rares. L’ingénieur forestier Normand Villeneuve, qui est à la recherche de forêts anciennes depuis 30 ans, a identifié 1700 propositions de forêts jugées exceptionnels ou rares au Québec, dont seulement 391 sont actuellement protégées, soit moins de 0.5% de notre territoire.

La déforestation connaît une accélération sans précédent partout sur la planète depuis le milieu du 20e siècle.   Si le bois d’oeuvre et l’exploitation minière sont parmi les intérêts commerciaux responsables de la perte des forêts primaires, l’industrie agro-alimentaire mène le bal.

En examinant le marché mondial, les scientifiques ont identifié cinq produits agro-alimentaires responsables de la plus grande perte de biodiversité forestière : le soya, le cacao, le café, l’huile de palme et le bœuf.  Ce dernier en est la principale cause.

Il est intéressant de noter que 61 % des forêts primaires se trouvent en Russie, au Canada et au Brésil.  Pourtant, ce sont la Chine, l’Europe, les USA et les marchés émergents de l’Asie qui dictent la gestion de nos forêts.  Et c’est la consommation ou plutôt la surconsommation qui agrave la situation.

La surconsommation est un des facteurs les plus importants de la destruction des habitats forestiers. En Amérique du Nord, un citoyen moyen consomme sept fois plus qu’un citoyen moyen de l’Inde. Au final, la surconsommation est un choix individuel, mais elle est certainement facilitée par les décisions de nos gouvernements.

Alors que la COVID19 chamboule les chaines d’approvisionnement et l’économie en général, les gouvernements se donnent bonne conscience au nom des contraintes sanitaires et de la relance économique : ils laissent pour compte leurs engagements sociaux et environnementaux en donnant le feu vert à l’accroissement de l’exploitation des forêts primaires.

Malgré le déclin de la production des GES lors du confinement global, 3,75 millions d’hectares de forêts

tropicales primaires ont disparu en 2021. L’impact : 2.5 gigatonnes d’émissions de dioxyde de carbone additionnel dans l’atmosphère, soit l’équivalent des émissions annuelles de combustibles fossiles de l’Inde.

Source Global Forest Watch World Resources Institute

Les peuples autochtones : Des guides pour le bien-être des forêts

Selon le GIEC et la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), les peuples autochtones et les autres communautés locales et traditionnelles sont les meilleurs gardiens de nos forêts.

Lorsque leurs droits sont reconnus et respectés, les forêts qu’ils gèrent subissent moins de dégradation et de déforestation, contiennent plus de carbone et de biodiversité, et répondent davantage aux besoins des populations que les forêts gérées par des entités publiques ou privées.

Au-delà du savoir-être et du savoir-faire des Premières Nations en matière de gouvernance et de gestion du territoire, c’est la responsabilité partagée d’un droit foncier communautaire qui confère à ces peuples l’obligation de tenir compte des intérêts des générations futures autant que celles d’aujourd’hui.

Pourtant, le mode de vie traditionnel des peuples autochtones, qui se traduit en une symbiose avec les forêts primaires, est menacé par l’activité industrielle.

Les Algonquins de Long Point et d’Abitibi-Témiscamingue sont très préoccupés par l’exploitation du lithium proposée par la compagnie Savoya, qui menace de détruire leurs forêts ancestrales. Sur la Côte-Nord, le Conseil des Innus de Pessamit a envoyé en 2022 une mise en demeure au gouvernement du Québec afin de protéger l’habitat du caribou forestier, une des espèces sacrées de son peuple. Pourtant, le gouvernement tarde à agir malgré l’unanimité scientifique et la proposition concrète des Innus de créer une aire protégée de 2761 km2 près du réservoir Pipmuacan.

Les dirigeants auront évidemment énormément d’influence sur les pratiques et les lois de leur pays.  Les images satellites confirment qu’au Brésil, pendant la présidence de Jair Bolsonaro, de 2019 à 2022, la déforestation a augmenté de 92 % dans le bassin amazonien.  Selon Matt Sandy de Time, le président Bolsonaro a même licencié les inspecteurs de l’environnement qui s’opposaient à la déforestation.  Au Québec, malgré les bonnes intentions de la refonte du régime forestier, nos dirigeants ont également de grands pas à faire pour protéger nos forêts et notre biodiversité toujours en déclin.

Mine d’or dans la forêt amazonienne du Brésil

La protection des forêts boréales

Les forêts boréales forment une large ceinture qui fait le tour de l’hémisphère Nord. Elles s’étendent sur 9 000 km d’est en ouest en Eurasie, de la mer d’Okhotsk à la mer de Norvège, et sur 5 500 km en Amérique du Nord, de Terre-Neuve à l’Alaska.  Ces forêts représentent 14 % de la superficie de la planète et 33 % de sa zone boisée.  Au Québec, la forêt boréale couvre environ 70 % de la superficie de notre territoire.

Des coupes non durables au Canada

À lui seul, le Canada compte environ 16 % des forêts primaires à l’échelle mondiale.

Environ 94 % des forêts canadiennes font partie de terres publiques, ce qui permet au gouvernement de réglementer les pratiques de récolte et d’appliquer l’aménagement du territoire suivant des lois et d’autres politiques.

Le gouvernement canadien mise sur l’aménagement forestier durable comme une manière de gérer les forêts dans l’objectif d’équilibrer les avantages environnementaux, sociaux et économiques qu’elles offrent au fil des ans.

La forêt du Grand Ours : un idéal à atteindre

La Great Bear Rainforest, une forêt primaire tempérée humide de 3,6 millions d’hectares, qui s’étend de la côte sud de la Colombie-Britannique à l’Alaska, est protégée depuis 2016 : 85% de la forêt du Grand Ours est interdit à l’exploitation forestière, particulièrement les coupes à blanc, tandis que 15% de ce territoire est soumis aux normes les plus strictes en Amérique du Nord en matière d’exploitation commerciale.  Cet accord du gouvernement britanno-columbien et d’une vingtaine de communautés autochtones a pris 20 ans à se réaliser.

 

Alain Fréchette est membre du comité scientifique de la Fondation, expert en gestion des ressources naturelles et d’impact des changements climatiques

Il est temps que la protection de nos forêts primaires soit au cœur du débat sur la crise climatique et la perte de biodiversité.  Comme tout est connecté, le sort des forêts primaires affectera celui de nos Montérégiennes, dont le mont Saint-Bruno.

C’est pourquoi la Fondation invite tous les paliers gouvernementaux à s’inspirer de la forêt du Grand Ours et de la gestion collective du territoire pratiquée par les peuples autochtones pour protéger non seulement les forêts primaires du Québec et du Canada, mais également les derniers refuges de biodiversité dans l’ensemble du territoire, particulièrement ceux du sud de la province.

Alain Fréchette