Recréer Mère Nature pour sauver la rainette

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Recréer Mère Nature pour sauver la rainette

Tout comme le papillon monarque, la rainette faux-grillon est devenue un symbole d’équilibre et de santé de la biodiversité québécoise.

Le déclin graduel depuis les années 1960

Dans les années 1960, le chant unique de la rainette faux-grillon retentissait dans les marais du sud du Québec.  Aujourd’hui, cette minuscule grenouille de 2,5 cm est près de l’extinction.

On la retrouve en Outaouais et en Montérégie, dans des habitats plutôt fragilisés.

Sa plus grande menace ? L’activité humaine.  L’étalement urbain, le drainage et le nivellement des terres agricoles, ainsi que les changements climatiques et les matières polluantes sont principalement responsables de sa disparition graduelle de 95% depuis le début des inventaires scientifiques.

(Photo : Marisa Scrilatti, Biodôme de Montréal)

Renverser le déclin de la rainette

Si l’humain peut détruire en quelques décennies ce que la nature a mis des millions d’années à créer, il peut aussi choisir la vie en favorisant la conservation et l’éducation.

  • Lyne Bouthillier, biologiste, ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs
  • Odile Colin, spécialiste des amphibiens, Biodôme de Montréal
  • Aurore Fayard, étudiante à la maîtrise en sciences forestières, Université Laval
  • Sophie Tessier, coordonnatrice conservation et éducation de la Sépaq (Iles-de-Boucherville et Mont-Saint-Bruno)
  • Dre Emiko Wong, vétérinaire et directrice des collections vivantes du Biodôme de Montréal

Étape 1 : Bâtir les étangs qui accueilleront les rainettes.

Étape 2 : Trouver des rainettes en milieu naturel.

Étape 3 : Accoupler les rainettes.

Étape 4 : Séparer en deux groupes pour l’étude du développement des têtards.

Étape 5 : Relâcher les rainettes au parc national du Mont-Saint-Bruno.

En parallèle : le monitoring des résultats par la méthode de capture-marquage-recapture.

C’est ce que propose une équipe de scientifiques chevronnées dans le cadre du programme de rétablissement de la rainette faux-grillon du Québec du ministère de la Faune, de la Forêt et des Parcs.  Le projet ? Réintroduire l’espèce là où elle n’a pas élu domicile depuis bien longtemps : le parc national du Mont-Saint-Bruno.

Étape 1 : L’ingénierie des étangs temporaires

Les quatre étangs qui accueilleront les rainettes sont situés dans un secteur peu fréquenté du parc national.  Ce sont d’anciens champs autrefois cultivés par des agriculteurs.

Sophie Tessier de la Sépaq doit voir à de multiples détails pour assurer la réussite du projet.  Par exemple, les étangs doivent s’assécher naturellement afin de ne pas attirer les prédateurs comme les poissons ou la grenouille verte, qui vivent dans des milieux humides permanents.   (Photo : JMcD)

Les berges possèdent un angle spécifique et un dénivelé très faible pour aider les rainettes à brouter de petites algues.  La gradation de la température de l’eau, où il fait plus chaud près de la rive, facilite la régulation de leur métabolisme.  Aussi important, lorsque les têtards se transforment en métamorphes, les grenouillettes à quatre pattes doivent pouvoir sortir de l’eau pour respirer.  Elles sont fragiles et recherchent à ce moment de petites cachettes pour poursuivre leur croissance.

On plante des végétaux pour stabiliser les berges afin de contrôler les espèces envahissantes comme le phragmite.  Un sol trop argileux doit être adapté afin que l’eau s’écoule naturellement.  C’est pourquoi un tuyau installé dans chaque étang est un élément essentiel.  Il facilite l’écoulement du trop-plein si l’eau atteint plus de 45 cm de profondeur.

On a fait appel à de multiples outils et fournitures pour calquer la nature : les relevés topographiques pour caractériser le ruissellement superficiel; l’équipement hydrologique pour étudier et suivre les niveaux d’eau et la période d’ennoiement des milieux humides alimentés par la fonte et les fossés; des camions pour élargir les fossés, des semences pour revitaliser les berges, du sable, du géotextile, des roches, des clôtures de déviation…  Et bien sûr, les rainettes elles-mêmes.   (Photo : JMcD)

Étape 2 : À la chasse aux rainettes

Lorsque Lyne Bouthillier se met à la recherche des rainettes qui aideront à repeupler l’espèce, elle veut capturer 50 mâles et 50 femelles.

Elle débute son exploration dès la fin de mars 2021.  Même à 2-3 ou 4 degrés Celsius, on aperçoit le début du mouvement lorsque les rainettes sortent tout juste de leur hibernation.  Aussitôt, elles se déplacent pour rétablir leur métabolisme afin d’atteindre un lieu sûr qui leur permettra de se reproduire.

Pourquoi la rainette est si importante pour la biodiversité ? Chaque espèce est un résultat de l’évolution de millions d’années… un trésor en soi.  On se doit de conserver l’écosystème qui lui donne vie.  Aussi, la rainette est indispensable dans le maillon de la chaîne alimentaire.  Elle se nourrit de moustiques et sert elle-même de nourriture par exemple aux couleuvres, aux ratons laveurs, parfois à certains oiseaux comme le grand héron et, sous forme de têtards, à des larves de libellules.  Quant à son habitat, il nous rend de grands services en réduisant les inondations.

Lyne Bouthillier

L’objectif est de trouver des individus qui habitent le même bassin versant que le mont Saint-Bruno, celui qui s’écoule vers la rivière Richelieu.

En évoluant dans ce bassin au fil des générations, les rainettes ont développé des gènes qui leur permettent de bien s’adapter à leur environnement.

Évidemment, il doit y avoir une certaine diversité afin d’éviter d’accoupler des individus d’une même famille.  Il fallait donc s’assurer d’avoir des mâles et des femelles de différents endroits.

(Photo : Sophie Tessier, Sépaq)

Les scientifiques ont choisi le boisé du Tremblay à Longueuil comme site principal de capture.  En 2004, le boisé du Tremblay était l’habitat connu de la rainette le plus peuplé au Québec.

Une combinaison de facteurs désastreux pour la reproduction sont à l’origine du déclin sans précédent dans notre région et ailleurs dans le monde. On pense, entre autres, au remblayage des milieux humides, une des conséquences du développement urbain. Au-delà de l’activité humaine, les maladies infectieuses fatales comme la chytridiomycose causée par le champignon Batrachochytrium dendrobatidis, ont contribué au déclin.  (Photo : Lyne Bouthillier)

Le marais du Capricorne du boisé Fonrouge à Longueuil et quelques sites à Boucherville, dont le Parc de la Futaie, ont aussi servi de lieux de capture.

La connectivité entre les milieux qui abritent la rainette assure sa survie.  Selon l’organisme Ciel et Terre, sa connexion au boisé Du Tremblay passe par le parc Roberval, qui maintient une forme de connectivité dans la municipalité de Longueuil, entre les boisés Fonrouge et Du Tremblay.  (Photo : Lyne Bouthillier)

Tout un jeu de patience que de capturer des rainettes.  On entend le mâle chanter pendant deux à trois semaines au printemps, mais sa taille est si petite qu’il se camoufle très facilement.  Et la femelle ? Encore moins facile car elle est silencieuse tout en ayant elle aussi maîtrisé l’art de se fondre dans le paysage.

Au final, on capture 44 mâles et 17 femelles.  Il s’agit d’une population limitée mais suffisante pour passer à la prochaine étape : la reproduction.

Étape 3 – Reproduction assistée au Biodôme de Montréal

Dr Émiko Wong et ses collègues Odile Colin, Sophie Vadnais et Linda Paetow sont les maîtres d’œuvre de la clinique de reproduction assistée pour la rainette au Biodôme de Montréal.

Grâce aux conseils du Dr Vance Trudeau, titulaire de la chaire de recherche en neuroendocrinologie de l’Université d’Ottawa, elles débutent un programme hormonal qui provoque la fertilité.

Il s’agit d’une méthode de dernier recours pour la reproduction en captivité.  Le Biodôme avait tenté sans succès de simuler les variations de pluie, de sécheresse et de températures pour influencer l’accouplement.

Si le déclin massif de la rainette se poursuit, l’expertise que développe le Biodôme sur la garde en captivité, l’hibernation, la reproduction et le maintien de l’espèce contribuera à sa sauvegarde.

La reproduction assistée consiste à injecter des hormones qui stimulent l’ovulation chez les femelles et la production du sperme chez les mâles.  Puis on laisse la nature suivre son cours.

Tout va bien pour la reproduction et la ponte des œufs.  Le résultat ?  2 123 têtards nés en captivité.

(Photo : Marisa Scrilatti, Biodôme de Montréal)

Étape 4 : Création de deux groupes d’étude

Les 2123 têtards sont séparés en deux groupes d’étude :  935 restent au Biodôme et 1188 sont transférés dans une quinzaine de mésocosmes au parc national du Mont-Saint-Bruno.

Cette étape permet d’évaluer les conditions de croissance des têtards dans un autre environnement contrôlé.  On analyse, par exemple, différentes densités de têtards en croissance ou encore les résultats de la présence ou de l’absence d’une litière de feuilles placée dans un mésocosme.

La majorité des têtards se transforment en grenouillettes, mais certains ne se rendent pas à terme.  D’autres sont gardés au Biodôme pour les années 2022 et 2023.   (Photo : Sophie Tessier, Sépaq)

Après une soixantaine de jours de développement contrôlé par l’équipe, 732 bébés grenouilles sont prêtes à être introduite en milieu naturel : 203 du groupe « Biodôme » et 529 du groupe « mésocosmes ».

Méthode capture-marquage-recapture

Mais avant d’être relâchées, Aurore Fayard procède au marquage de plus de 80 % des rainettes.  Elle injecte un transpondeur dans la peau de la rainette.  Chaque grenouillette possède un numéro unique.

Au printemps 2022, l’étudiante espère recapturer un bon échantillonnage de rainettes marquées à l’aide de pièges non dangereux afin d’évaluer combien d’individus ont survécu.  La recapture se fait près des clôtures de déviation qu’elle a installées autour des étangs.

(Photo : Lyne Bouthillier)

Étape 5 : Relâcher les rainettes au parc national du Mont-Saint-Bruno

Les 732 grenouillettes sont relâchées dans deux des quatre étangs temporaires du parc national du Mont-Saint-Bruno au début de juillet 2021.  D’autres le seront en 2022 et 2023 selon les résultats obtenus.

Mais recréer Mère Nature n’est pas de tout repos.

Sophie Tessier a passé quelques nuits blanches à se demander si la canicule de juin 2021 avait asséché les étangs trop rapidement et si les bébés rainettes allaient s’adapter à leur environnement naturel.  Avaient-elles assez grossi pour survivre dans l’écosystème ?

Il est impossible de savoir combien d’entre elles survivront.  Dès septembre, lorsque les nuits sont plus fraîches, les rainettes les plus résilientes, celles qui n’ont pas été avalées d’une seule bouchée par un prédateur, commencent à chercher un endroit pour hiberner sous une roche, du bois ou tout autre endroit qui les protégera.

(Photo : Lyne Bouthillier)

Pourquoi créer quand la nature le fait si bien ?

Le printemps 2022 apportera des réponses qui aideront les scientifiques à mieux comprendre l’univers de la rainette et la colonisation d’un nouveau territoire.

Comme peu d’études sur la rainette sont disponibles, les résultats seront diffusés afin de servir dans d’autres projets de réintroduction de la rainette faux-grillon.

L’ingéniosité humaine aura permis de créer un nouvel habitat pour la rainette faux-grillon, mais le projet aura aussi eu un coût monétaire important sans pour autant assurer la réussite.

Ne serait-il pas plus facile et moins coûteux de conserver les milieux que nous offre gracieusement la nature ?
Sophie Tessier, Sépaq

Malgré de multiples projets domiciliaires, commerciaux et industriels qui continuent à détruire l’habitat de la rainette, de plus en plus de décideurs choisissent de contribuer à sa conservation et à celle de la biodiversité dans son ensemble.

Certaines municipalités créent des espaces verts et des agriculteurs transforment leurs pratiques pour préserver les étangs printaniers de la rainette.

En protégeant l’écosystème de la rainette, on se protège soi-même.  Une saine biodiversité contribue à la qualité de l’air que nous respirons, des aliments que nous consommons et de l’eau que nous buvons.  Elle réduit l’impact des changements climatiques sur toutes les espèces et offre un milieu où il fait bon vivre.

Au final, pour sauver la rainette et la biodiversité, il est essentiel d’unir les efforts des décideurs et des scientifiques afin de réduire les polluants qui affectent les milieux naturels, de combattre les changements climatiques et de favoriser la connectivité des corridors écologiques.  Aidons la nature à nous aider.

La Fondation du Mont-Saint-Bruno remercie Lyne Bouthillier du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec, Sophie Tessier de la Sépaq, Odile Colin du Biodôme de Montréal et Aurore Fayard de l’Université Laval pour leur contribution scientifique à l’article.

Liens intéressants :

Radio-Canada, Découverte – Opération sauvetage, 12 septembre 2021
Fondation du Mont-Saint-Bruno, La rainette faux-grillon, 17 septembre 2021
Équipe de rétablissement de la rainette faux-grillon de l’Ouest du Québec, Rainette.ca
Université Laval, À la rescousse de la rainette faux-grillon boréale, 19 janvier 2021