Un moratoire sur l’abattage des arbres
Les randonneurs sont étonnés de voir combien d’arbres ont été abattus dans le parc national du Mont-Saint-Bruno. Ils sont d’autant plus inquiets lorsqu’ils aperçoivent le cercle orange fluo sur des centaines d’arbres en santé. À lui seul, le sentier 6 compte 57 arbres ciblés.
Le cercle orange suggère la domination humaine sur la nature et non le respect humain-nature recommandé par les organismes de conservation. Quant aux visiteurs, plutôt qu’une expérience de bien-être, la randonnée est déstabilisante et l’écoanxiété peut même s’installer.
Le directeur des parcs nationaux Îles-de-Boucherville et Mont-Saint-Bruno (Sépaq) est sensible à l’inquiétude des visiteurs. Cédric Landuydt a confirmé à la Fondation du Mont-Saint-Bruno que l’abattage était à l’étude et que, pour le moment, aucun autre arbre ne serait coupé à moins qu’il ne s’agisse d’une question de sécurité.
La Fondation est préoccupée par la situation et souhaite faire le point.
Des écosystèmes à risque
La biodiversité de la colline est fragilisée par le broutage du cerf de Virginie, la quantité et diversité d’espèces exotiques envahissantes et les loisirs non respectueux des milieux naturels. À ceci s’ajoute l’impact des changements climatiques.
Ces pressions mettent l’équilibre des écosystèmes à risque. En y ajoutant l’abattage d’arbres de grande valeur écologique, l’équilibre déjà affaibli pourrait basculer.
L’impact d’élargir les sentiers
L’élargissement des sentiers par la coupe d’arbres provoque des impacts négatifs sur la biodiversité et l’expérience humain-nature.
Une expérience visiteur amoindrie : Le sentiment d’intimité et de bien-être lorsqu’on se sent enveloppé par les arbres est une expérience recherchée par les randonneurs. Plus la canopée disparaît, plus cette expérience perd de sa beauté. La réaction des visiteurs à l’été 2021 face aux ravages de la chenille de la spongieuse en témoigne.
La fragmentation des habitats : D’emblée, les sentiers fragmentent l’écosystème forestier. Leur élargissement peut affaiblir davantage certaines populations végétales et animales, dont les espèces à statut. Une espèce qui se disperse sur terre et cherche à s’établir de l’autre côté du sentier compacté fait face à un défi supplémentaire. Les plantes sont parfois différentes d’un côté et de l’autre du sentier et profitent de l’effet de lisière qu’on ne retrouve pas normalement hors sentier.
La prolifération des plantes exotiques envahissantes (PEE) : À l’instar de la Sépaq, qui a établi un protocole de contrôle des plantes exotiques envahissantes sur son territoire il y a quelques années, la Fondation du Mont-Saint-Bruno a lancé en 2025 son propre projet de contrôle des plantes exotiques envahissantes en périphérie du parc national. Pourtant, la perturbation associée à l’élargissement des sentiers peut amener les conditions idéales de prolifération des PEE.
L’érosion du sol : Le système racinaire d’un arbre est impressionnant et aide à stabiliser le sol. L’abattage de multiples arbres peut contribuer à l’érosion des sols, particulièrement en pente, et au ruissellement d’eau lors des pluies diluviennes de plus en plus fréquentes.
La chenille de la spongieuse a décimé la canopée du mont Saint-Bruno à l’été 2021.
Repenser l’abattage d’arbres matures
Nos arbres matures ont mis plusieurs décennies à croître. Certains atteignent même cent ans et plus.
Une forêt saine est en régénération constante, offrant la possibilité aux jeunes arbres, qui patientent des années dans la sous-canopée, de profiter d’une trouée de lumière pour en arriver à maturité. Mais, ce n’est pas le cas au mont Saint-Bruno.
Contrairement au Mont-Royal où une régénération est constatée, la strate inférieure de la forêt du mont Saint-Bruno est dégarnie. Celle-ci devrait recéler de jeunes hêtres, érables, chênes et pruches, mais les plantes herbacées et les arbustes se font rares car il sont un délice pour les cerfs de Virginie, lesquels sont beaucoup trop nombreux sur la colline.
Il est possible de replanter des arbres pour aider la forêt à se régénérer, mais ces derniers doivent être bien protégés des rongeurs et des cerfs. La sécheresse qui s’installe de plus en plus au cœur de l’été exige un arrosage plus fréquent. Malheureusement, les jeunes arbres plantés ces dernières années meurent dû à la crise climatique et au manque de suivi. Le taux de survie dépendra donc des ressources disponibles pour assurer la survie de chaque arbre planté.
Il est certain que l’arbre qui fête ses cent ans a confronté des pressions bien différentes dans son jeune temps. Le jeune arbre d’aujourd’hui peut-il même espérer devenir centenaire ? Selon Tanya Handa, directrice scientifique de la Fondation et professeure à l’UQAM, il faut bien réfléchir avant d’abattre nos arbres matures.
Photos : Johanne McDonald / Michel Bérubé