Les limaces exotiques au mont Saint-Bruno
Comprendre une invasion silencieuse
Les espèces envahissantes sont reconnues mondialement comme une cause majeure de perte de biodiversité, provoquant des extinctions dix fois plus importantes que les espèces indigènes à l’échelle de la planète (Blackburn et al. 2019). Le mont Saint-Bruno, milieu naturel d’exception qui attire de nombreux adeptes du fait de ses charmes variés, n’est bien évidemment pas exempt des problématiques soulevées par la présence d’espèces envahissantes. Il fait d’ailleurs face à une menace discrète, mais potentiellement sérieuse : l’invasion de limaces exotiques.
À l’été 2025, la Fondation du Mont-Saint-Bruno a contribué à une étude, pilotée par Tanya Handa et l’Université du Québec à Montréal, en collaboration avec Nature-Action Québec, afin de mieux mesurer la présence de la limace exotique sur la montagne et d’esquisser les menaces potentielles à la biodiversité du milieu.
Présence de limaces exotiques : quelques hypothèses
C’est bien connu, le couvert forestier du mont Saint-Bruno est malmené par différents facteurs. Il y a le piétinement d’adeptes de plein air qui s’aventurent hors des sentiers, mais également la présence de différents animaux, dont les nombreux cerfs de Virginie du territoire, qui se repaissent des feuilles tendres de la montagne. Une autre espèce aime également grignoter certaines plantes du mont : les limaces exotiques européennes, notamment le complexe Arion subfuscus s.l.. Du moins, c’est l’une des hypothèses que souhaitaient valider la Fondation du Mont-Saint-Bruno et Nature-Action Québec, avec l’appui de Tanya Handa, professeure au Département des sciences biologiques de l’UQAM, et Béatrice Rousselle, stagiaire et étudiante à la maîtrise en sciences de l’environnement.
Au cours de l’été 2025, la petite équipe de recherche a déployé un protocole pour, d’une part, confirmer la présence de ces limaces et, d’autre part, mieux caractériser cette présence. Trois hypothèses étaient au cœur de la démarche :
- L’invasion des limaces exotiques : La présence et l’abondance de la limace européenne Arion subfuscus s.l. sont en augmentation dans les écosystèmes forestiers du mont.
- L’impact sur les plantes vulnérables : L’activité d’herbivorie (consommation de plantes) par ces limaces pourrait menacer les plantes herbacées à statut précaire.
- Les interactions entre espèces envahissantes : Il pourrait exister des interactions positives entre les limaces exotiques et certaines plantes envahissantes, favorisant une « réaction en chaîne » d’invasions – ou ce que la littérature scientifique nomme le invasional meltdown (Green et al., 2011).

Des pièges… en carton!
Pour tester les hypothèses de cette étude, Béatrice Rousselle, soutenue par Olivier Desrochers et Karine Manoli qui ont contribué à la mise en œuvre d’un plan de gestion des plantes exotiques envahissantes au mont Saint-Bruno, a déployé 72 pièges sur deux terrains de précieux collaborateurs, dont Nature-Action Québec. L’un de ces terrains est situé sur le versant nord, alors que le second se retrouve sur le versant opposé du mont. Les pièges sont constitués de carrés de carton, d’environ un mètre carré, humidifiés et déposés directement au sol, à proximité de deux espèces de plantes à statut. Bien que la nature du piège puisse paraître simpliste, celle-ci reproduit des conditions recherchées par les limaces, facilitant ainsi leur observation. Des morceaux de choux ont également été disposés sous les cartons pour attirer les gastropodes.
Chacun des pièges a été géoréférencé pour s’assurer de les retrouver tout au long de la saison estivale. À raison d’une visite par semaine, de juin à août inclusivement, l’équipe a fait des relevés hebdomadaires de chacun des pièges, afin de noter le nombre de limaces observées, leur genre (dans la mesure du possible), et leur biomasse. Une échelle d’herbivorie a également été conçue pour déterminer quel pourcentage des plantes à statut avoisinant les pièges avaient été consommées. À ces différentes informations, il importait aussi d’ajouter des observations relatives à des facteurs qui peuvent influencer la présence marquée ou non de limaces sous les pièges, nommément les températures et les quantités moyennes de précipitations entre les relevés hebdomadaires.



Au fil des semaines, l’équipe s’est investie dans les résultats de cette étude. Est-ce que des différences significatives pourront être observées entre les pièges du versant sud et ceux du versant nord ? Est-ce qu’une espèce à statut attire plus les limaces qu’une autre ? Comment les conditions météorologiques influenceront la présence des limaces et le degré d’herbivorie (rappelons que l’été 2025 a connu quelques journées particulièrement chaudes)? Quelles seront les limites de l’étude sachant que les limaces ne sont pas les seules responsables du broutage des plantes de la montagne?
Pourquoi cette étude est-elle importante ?
Pour finir, ce sont 1394 limaces qui ont été observées sous les pièges cartonnés, dont la très grande majorité (près de 96 %) appartenait au complexe Arion subfuscus s.l.. De plus amples détails sur les données recueillies lors de l’étude seront partagés dans la nouvelle année.
L’étude a permis de confirmer la présence de cette limace envahissante dans les écosystèmes du mont Saint-Bruno. Cette expérience offre de nouvelles pistes de compréhension sur les interactions entre les limaces exotiques et la flore locale et les autres espèces envahissantes. Les résultats permettent d’orienter les efforts de conservation et de gestion du mont Saint-Bruno, afin de préserver ses espèces les plus vulnérables et de limiter les impacts des invasions biologiques et serviront de base, le cas échéant à d’autres recherches pour approfondir le sujet.
