Un boisé protégé et… un procès
La COP15 s’est fait sentir au niveau local tout au long du sommet. Nous avons vécu, à quelques 20 kilomètres des négociations, deux exemples concrets des enjeux de conservation de la biodiversité.
Le boisé Sabourin : un succès
La Fondation, qui réclame depuis longtemps la protection intégrale du boisé Sabourin, a appris avec soulagement que 20 des 35 ha du boisé seront intégrés au réseau de la Trame verte et bleue du Grand Montréal. Grâce à plusieurs partenaires financiers, dont le gouvernement du Québec, la CMM et Nature-Action Québec, la ville de Saint-Bruno ajoute quelques deux millions de pieds carrés au corridor écologique du mont Saint-Bruno.
Le boisé des Hirondelles : un procès
De son côté, la sauvegarde du boisé des Hirondelles n’est pas assurée, mais le procès opposant le promoteur Sommet Prestige Canada à la ville de Saint-Bruno est une étape marquante dans l’histoire du boisé…
Un peu d’histoire
Un groupe citoyen voit le jour en 2005 dès la vente du boisé des Hirondelles au Sénateur Paul J. Massicotte, propriétaire de Sommet Prestige. Au fil des ans, les actions de Catherine Mondor, Martin Murray, Marilou Alarie, Michel Desgagné, Tanya Handa, Michelle Archambault, Tommy Montpetit, David Fletcher, Alain Fréchette et plusieurs autres, mobilisent les foules afin de dénoncer les intentions du promoteur. L’intérêt médiatique qui en découle perdure même aujourd’hui et met le vent dans les voiles de cette mobilisation citoyenne. Le boisé des Hirondelles est devenu un symbole du bien-être de la communauté qui se butte au profit commercial.
En 2011, Tanya Handa identifie une espèce menacée à l’état sauvage au boisé des Hirondelles : le ginseng à cinq folioles. Sa découverte est confirmée par plusieurs autres biologistes, dont son collègue de l’UQAM Daniel Gagnon, et déposée au ministère de l’Environnement.
La non-acceptabilité sociale qui entoure l’octroi d’un permis de construction à Sommet Prestige mène, en 2013, à un changement d’administration municipale à Saint-Bruno. Le nouveau maire Martin Murray fait de la protection des milieux naturels une cause au coeur de son mandat. Les boisés Tailhandier, des Hirondelles, Sabourin et des Tilleuls sont particulièrement dans sa mire.
En 2016, la Fondation du Mont-Saint-Bruno organise un grand rassemblement, où manifestent des centaines de citoyens, les élus et les dirigeants des organismes de conservation québécois. On veut faire valoir la très grande valeur écologique de ce milieu naturel, qui ne fait qu’un avec le parc national le plus fragilisé du Québec. Le ministère de l’Environnement répond à l’appel et impose un moratoire sur le développement domiciliaire.
Le clou est enfoncé en 2018 quand la ville de Saint-Bruno adopte un règlement encadrant la coupe d’arbres dans les milieux naturels d’intérêt. Ce règlement vise notamment le boisé des Hirondelles.
Le Sénateur Paul J. Massicotte, propriétaire de Sommet Prestige et responsable du dossier de l’environnement au Sénat du Canada, voit ses profits s’envoler. Il poursuit la Ville pour expropriation déguisée.
La loi a besoin d’être modernisée
Si les municipalités ont généralement adhéré au principe de protection des milieux naturels, elles manquent néanmoins de moyens financiers et juridiques pour acquérir les terrains aux fins de conservation.
Devant l’appétit des promoteurs et les menaces de poursuites pour expropriation déguisée, les municipalités demandent au Gouvernement du Québec une modernisation de la Loi sur l’expropriation afin que les coûts d’acquisition soient calculés selon la valeur marchande la plus raisonnable de la propriété et non à la hauteur des profits escomptés.
« Comme le sud du Québec connaît un grand déficit en matière d’aires protégés, il est essentiel qu’une révision rapide à la Loi sur l’expropriation priorise la conservation de nos milieux naturels. » Tanya Handa
Une négociation à l’amiable sans résultat
Plus tôt cette année, le maire de Saint-Bruno, Ludovic Grisé Farand, a tenté de négocier avec le promoteur afin de trouver un terrain d’entente. Les conditions de la négociation n’ont évidemment pas été révélées, mais il est certain que la Ville ne peut débourser 17 millions $ pour l’achat du terrain. Monsieur Massicotte a préféré tenter sa chance devant les tribunaux.
Un compte-rendu du procès
Marilou Alarie, militante passionnée et conseillère municipale à Saint-Bruno de 2013 à 2021, s’oppose catégoriquement au développement domiciliaire dans le boisé des Hirondelles.
Elle suit le dossier de près depuis plusieurs années et nous parle du procès qui s’est terminé le 9 décembre et qui, dès le premier jour des délibérations, annonce un revirement inattendu.
Le promoteur Paul J. Massicotte ne souhaite plus développer la forêt des Hirondelles sur le Mont-Saint-Bruno pour en faire un quartier résidentiel. Les obstacles à surmonter seraient devenus trop importants selon ses avocats.
Autre fait nouveau, le promoteur reconnaît désormais la validité du règlement municipal sur l’abattage d’arbres qui l’empêche de réaliser son projet immobilier. L’objet du litige n’est donc plus de déclarer illégale la règlementation municipale en vigueur.
Comment expliquer ce revirement? La réponse se trouve dans le jugement Lucas (2021) de la Cour supérieure dans l’affaire du boisé Sabourin. Dans ce procès intenté par les promoteurs immobiliers Pillenière et Simoneau contre la ville de Saint-Bruno-de-Montarville, le tribunal a donné raison à la municipalité en confirmant la validité de son règlement encadrant l’abattage d’arbres dans les milieux naturels d’intérêt.
Cette récente jurisprudence a forcé l’abandon de la requête en nullité déposée par le propriétaire de la Forêt des Hirondelles. Ce dernier demande maintenant au tribunal de confirmer les effets expropriants du règlement sur l’abattage d’arbres et d’obliger la municipalité à l’indemniser. Ce à quoi la Ville s’est opposée avec un argumentaire étoffé pendant plus de 7 jours de procès.
Maintenant que les audiences sont terminées, le juge Lukasz Granosik devrait rendre sa décision d’ici 6 mois.
À suivre…
Marilou Alarie
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